LA PRISE DE RÉSOLUTIONS PAR COURRIEL : EST-CE LÉGAL ?
25 septembre 2024
Chronique rédigée par :
Me Marie Diane Ngom
Conseillère juridique
Me Geneviève Pepin-Bergeron
Conseillère juridique
Me Daniel Cooper
Conseiller juridique principal
À première vue, la question peut paraître étonnante, car nous assistons de nos jours à une utilisation récurrente de divers moyens de communication par les administrateurs.trices ou les dirigeants.es des entreprises collectives. En effet, il n’est pas rare que ces derniers communiquent entre eux par le biais des moyens technologiques tels que la conférence téléphonique, la visioconférence, les messages textes ou les courriels, afin de traiter les affaires courantes de l’organisation. Le législateur permet d’ailleurs aux administrateurs.trices ou à l’assemblée des membres d’utiliser divers moyens de communication pour participer à une réunion ou adopter des résolutions, à moins de disposition contraire dans l’acte constitutif ou les règlements de l’organisme1. Ainsi, les administrateurs.trices ou l’assemblée des membres peuvent adopter les résolutions dans le cadre d’une réunion tenue à distance ou par courriel. On parle dans ce dernier cas de résolution écrite.
Si la légitimité de l’utilisation de ces moyens de communication pour la prise des décisions par le conseil d’administration ou l’assemblée générale ne soulève plus de doutes, la validité des décisions ainsi prises est conditionnelle au respect de certaines conditions légales. La présente chronique juridique jette un éclairage sur les résolutions prises par courriel et les conditions de leur validité.
1. Les conditions de validité des résolutions prises par courriel
Elles sont prescrites par la loi constitutive de l’entreprise collective et sont les mêmes, que l’organisme soit une organisation à but non lucratif (« OBNL ») constituée sous la partie III de la Loi sur les compagnies2 ou une coopérative constituée en vertu de la Loi sur les coopératives3. Ces conditions s’appliquent autant aux décisions prises par le conseil d’administration que par celles adoptées par l’assemblée des membres.
a. Les conditions de validité des résolutions prises par courriel
Pour être valide, la résolution prise par courriel doit être signée par tous.tes les administrateurs.trices ou les membres habiles à voter. Ce sont les termes de l’article 89.3 de la Loi sur les compagnies4 pour ce qui est du conseil d’administration et de l’article 89.4 de cette même loi, en ce qui concerne l’assemblée générale.
Les articles 67 et 96, alinéa 1 de la Loi sur les coopératives5, respectivement pour l’assemblée générale et le conseil d’administration ont la même teneur.
La résolution doit donc être signée…
La signature requise ici n’est pas limitée aux seules signatures manuscrites. En effet, conformément à l’article 2827 du Code civil du Québec6, « La signature consiste dans l’apposition qu’une personne fait à un acte de son nom ou d’une marque qui lui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement. » L’article 39, alinéa 1 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information7 précise quant à lui que cette « signature peut être apposée au document au moyen de tout procédé qui permet de satisfaire aux exigences de l’article 2827 du Code civil ».
Ainsi, il serait possible par exemple à un administrateur.trice ou un membre d’utiliser sa signature électronique ou toute autre marque qu’il.lle utilise couramment pour consentir à une résolution envoyée par courriel. Une autre avenue serait que l’administrateur.trice ou le membre énonce sa position quant à la résolution dans une chaine de courriels. Si tous.tes les administrateurs.trices ou les membres répondent par un « oui » ou par un « non » au courriel contenant la résolution proposée, celle-ci sera donc dûment acceptée ou rejetée comme si elle avait été discutée dans le cadre d’une réunion usuelle du conseil d’administration ou de l’assemblée générale.
…par tous.tes les administrateurs.trices ou les membres
Le législateur exige une unanimité des voix pour la validité d’une résolution adoptée par courriel. Cette condition tranche avec l’exigence de la seule majorité pour la prise des décisions lors des réunions usuelles8. Ceci s’explique aisément par le fait qu’habituellement, à contrario d’une réunion usuelle, aucune discussion ne précède l’adoption d’une décision par courriel. Il est alors important que tous.tes les administrateurs.trices ou les membres se prononcent dans le cadre d’une résolution écrite. S’il manque une seule voix au chapitre, la résolution signée ne sera pas légalement valide.
b. La résolution doit être déposée au registre des procès-verbaux à la suite de son adoption
C’est la deuxième condition de validité d’une résolution prise par courriel. Le législateur exige que la décision ainsi prise soit conservée avec les procès-verbaux des réunions ou des assemblées9. En pratique, il faudrait donc que le secrétaire de l’organisation ou la personne indiquée conserve une copie de la résolution écrite ou de la chaine de courriels valant la résolution au registre des procès-verbaux.
Une fois que les deux formalités légales décrites ci-dessous ont été complétées, les résolutions prises par courriel sont valides.
2. Utilité pratique de l’adoption des résolutions par courriel et recommandations
La prise de résolutions par courriel est d’une utilité pratique indéniable. En effet, cette forme de résolution présente l’avantage de ne pas être obligé de convoquer une réunion ou une assemblée, à la seule fin d’adopter une résolution qui porte sur un sujet qui avait déjà été débattu lors d’une réunion, à la satisfaction de tous.tes. De plus, lorsqu’en raison de certains facteurs, il n’est pas possible de tenir une réunion en présentiel ou à distance et que des décisions importantes doivent être prises, ce mécanisme s’avère être une option intéressante.
Toutefois, en raison de l’absence de discussions préalables à la prise de ce type de résolutions, nous recommandons que les entreprises collectives n’y recourent qu’exceptionnellement. Aussi, afin de renforcer la légitimité de telles résolutions, nous suggérons aux organisations d’entériner ces décisions lors des conseils d’administration ou des assemblées générales subséquents et de consigner le tout au procès-verbal de cette réunion ou assemblée.
À retenir :
- Une résolution prise dans le cadre d’une consultation par courriel est valide si elle respecte les prescriptions légales notamment qu’elle soit adoptée à l’unanimité;
- La prise de résolution par courriel ne devrait être faite que de manière exceptionnelle;
- Les entreprises collectives devraient entériner les décisions prises par courriel lors des réunions suivantes des conseils d’administration ou des assemblées générales et consigner le tout au procès-verbal.
Nous vous invitons à consulter un.e conseiller.ère juridique du Réseau pour toute question en lien avec cette chronique.
1 Voir art. 89.2 al.1, art. 89.4 de la Loi sur les compagnies, RLRQ c C-38 et art. 76.2, 79.1 et 95 al.1 de la Loi sur les coopératives, RLRQ c C-67.2.
2 RLRQ c C-38.
3 RLRQ c C-67.2
4Op. cit., note 2.
5 Op. cit., note 3.
6 RLRQ c CCQ-1991.
7 RLRQ c C-1.1.
8 Art. 72 al.1 et 93 al. 2 de la Loi sur les coopératives, RLRQ c C-67.2. Pour ce qui est des OBNL constitués en vertu de la Loi sur les compagnies, RLRQ c C-38, le législateur laisse le soin aux administrateurs de déterminer, par règlement, le quorum des réunions : voir notamment art. 91 alinéa 2e). Cette détermination du quorum fixera l’exigence de la majorité : article 59 de la Loi d’interprétation, RLRQ c. I-16.
9 Art. 67, alinéa 2 et 96, alinéa 2 de la Loi sur les coopératives, ibid.; art. 89.3 alinéa, 2 et 89.4 de la Loi sur les compagnies, ibid.