Les conflits d’intérêts au sein des conseils d’administration des coopératives et des fédérations : mythe ou réalité?
17 avril 2025

Chronique rédigée par :

Me Daniel Cooper
Conseiller juridique principal
Dans cette chronique nous aborderons des enjeux liés aux conflits d’intérêts dans le cadre des coopératives et leurs fédérations.
Dans la prochaine Chronique juridique du Réseau, nous allons vous présenter la question des conflits d’intérêts de manière plus générale afin de viser des situations pouvant être vécues tant dans les OBNL que dans les coopératives.
La question suivante nous est posée souvent, que ce soit dans les coopératives ou les fédérations de coopératives : un.e administrateur.trice, membre de la coopérative ou de la fédération, n’est-il.elle pas en conflit d’intérêts de ce fait même? Lorsqu’il.elle siège au conseil d’administration, ne représente-t-il.elle pas ses propres intérêts (lorsqu’il.elle est membre de la coopérative) ou ceux de sa coopérative (lorsqu’il.elle siège au conseil d’administration de la fédération)?
La question est légitime, car le Code civil du Québec[1] prescrit que l’administrateur.trice doit agir uniquement dans l’intérêt de son mandant, soit la coopérative ou la fédération et non dans son propre intérêt ou celui de sa coopérative membre de la fédération.
Or, le législateur a prévu le coup dans le cas des coopératives.
L’article 106 de la Loi sur les coopératives[2] fait abstraction de la qualité de membre comme source inhérente de conflit d’intérêts. Voici ce qu’il nous apprend :
106. Un administrateur qui a un intérêt direct ou indirect dans une entreprise, un contrat ou une activité économique mettant en conflit son intérêt personnel, autre que celui que lui confère sa qualité de membre, et celui de la coopérative doit, sous peine de déchéance de sa charge, divulguer son intérêt, s’abstenir de voter sur toute question concernant l’entreprise, le contrat ou l’activité économique dans laquelle il a un intérêt et éviter d’influencer la décision s’y rapportant. Cette divulgation est faite par écrit et est consignée au procès-verbal des délibérations du conseil d’administration. Il doit, en outre, se retirer de la réunion pour la durée des délibérations et de la décision qui concernent l’entreprise, le contrat ou l’activité économique dans laquelle il a un intérêt. |
Fort habile, cet article nous enseigne que ce n’est pas parce qu’un administrateur.trice est membre de sa coopérative en sa qualité d’usager.ère, travailleur.euse, consommateur.trice, producteur.trice ou locataire, qu’il.elle est de ce fait en perpétuel conflit d’intérêts.
Le même raisonnement s’applique à l’administrateur.trice d’une fédération qui ne se trouve pas en conflit d’intérêts du seul fait qu’il.elle est usager.ère, travailleur.euse, consommateur.trice, producteur.trice, locataire, administrateur.trice ou dirigeant.e de la coopérative membre de la fédération.
Bien sûr, un règlement pris par la coopérative ou la fédération peut, lorsque la loi le permet, restreindre l’éligibilité de certaines personnes pour devenir administrateur.trice[3]. Dans ce cas, il n’est pas question de conflit d’intérêts, mais d’inéligibilité à siéger au conseil d’administration.
Il convient de préciser que l’article 106 de la Loi sur les coopératives ne vide pas de tout son sens la notion de conflit d’intérêts.
En effet, lorsque l’intérêt personnel d’un membre est en jeu, celui-ci devrait s’abstenir de participer aux discussions et de voter sur la question qui le concerne. À titre d’exemple, un.e administrateur.trice usager.ère ne pourra pas participer à une décision qui concerne le recouvrement des sommes qu’il.elle doit à la coopérative[4]. Cependant, il.elle pourra participer à une discussion portant sur une augmentation générale des tarifs pour tous les usagers de la coopérative.
De plus, soulignons que tout membre du conseil d’administration est soumis aux obligations de loyauté et d’honnêteté et doit agir dans le meilleur intérêt de la coopérative. Ainsi, si l’administrateur.trice membre visé.e dans l’exemple ci-dessus fait fi de son devoir d’agir dans les meilleurs intérêts de la coopérative en insistant continuellement sur une baisse des tarifs, sans fondement et en menaçant ainsi la santé financière de la coopérative, il.elle enfreindra son devoir de loyauté et d’honnêteté et agira à l’encontre des intérêts de son mandant, la coopérative. Il.elle fera alors preuve de conflit d’intérêts, malgré la nuance de l’article 106 de la Loi sur les coopératives.
L’exemple le plus frappant de cette nuance est celui des coopératives de travail. Seuls les membres peuvent travailler et ainsi, élire les administrateurs.trices au conseil d’administration. Le conseil d’administration de ces coopératives est majoritairement[5] sinon exclusivement composé de travailleurs.euses. Ces membres travailleurs réunis en conseil d’administration doivent voter des décisions telle la détermination des grilles salariales de l’ensemble des membres travailleurs[6]. Si la qualité de membre devait être, en soi, source de conflit d’intérêt dans ces coopératives, il y aurait une « paralysie » de la gouvernance.
Nous espérons que ces quelques lignes vous permettront de démystifier la question des conflits d’intérêts dans les coopératives.
Nous vous invitons à consulter un.e conseiller.ère juridique du Réseau pour toute question en lien avec cette chronique.
[1] RLRQ c CCQ-1991.
[2] RLRQ c C-67.2.
[3] Par exemple, dans une coopérative d’habitation, le membre qui ne paie pas son loyer, si le règlement prévoit cette cause d’inégibilité (article 82 (2) Loi sur les coopératives).
[4] En l’absence d’un règlement à cet effet. Voir note précédente.
[5] Au moins aux deux-tiers, s’il est prévu des administrateurs non-membres.
[6] Il faut toutefois apporter une distinction dans le cas où les membres travailleurs sont syndiqués et où les conditions de travail sont régies par une convention collective. Dans ce cas, ces conditions sont négociées avec leur syndicat et doivent être votées au sein de l’assemblée générale du syndicat.